Un écrin pour un musée
L’ordre monastique, établi en Bourgogne et qui contrôlait un important réseau d’abbayes dans toute l’Europe occidentale, disposait de trois collèges, stratégiquement implantés près des centres du pouvoir à Paris et en Avignon, ainsi qu’à Dole en terre d’Empire. Ces établissements accueillaient les novices de l’ordre pour leur cursus universitaire. Le collège parisien est édifié au 13e siècle, au sud de l’actuelle place de la Sorbonne. L’abbé de Cluny disposait quant à lui lors de ses séjours dans la capitale d’un pied-à-terre plus convenable à son statut, situé à proximité immédiate.
La demeure initiale, contemporaine du collège, n’est connue que par une mention d'archives. L’hôtel particulier actuel fut construit à partir de 1485 par Jacques d’Amboise, abbé de Cluny issu d’une des familles dominantes de la fin du 15e siècle. À la tête de l’ordre clunisien, le jeune abbé fit bâtir un bâtiment destiné à magnifier son statut : matériaux coûteux, plan complexe, décor opulent.
Lieu de résidence et de représentation, l’hôtel des abbés s’adosse et se mêle intimement aux thermes gallo-romains qui occupent l’ouest de la parcelle. La subsistance de ces imposants bâtiments antiques et leur intégration ne sont pas une singularité ; la dimension économique du projet architectural l’explique en partie. Il aurait été très dispendieux de détruire ces édifices antiques pour obtenir un terrain dégagé, d’engager des coûts de main-d’oeuvre colossaux sans pouvoir par ailleurs vendre les matériaux récupérés. Le maître d’œuvre s’accommoda donc de ces contraintes et les tourna avec génie à son avantage.
Construit dans le style gothique, l’hôtel des abbés de Cluny adopte le parti d’une demeure d’exception, l’hôtel particulier, formule architecturale urbaine qui connaîtra un formidable succès durant tout l’Ancien Régime. Le mur crénelé aveugle sur la rue borde une vaste cour intérieure, accessible par une porte cochère et un guichet. Les façades reçoivent un riche décor sculpté gothique flamboyant. Aux frontons des lucarnes hautes, sur les pans de la tour d’escalier, les armes de Jacques d’Amboise affirment la puissance et le rang du commanditaire. Le corps de logis central est encadré par deux ailes, l’une à l’est recevant au rez-de-chaussée les cuisines, l’autre à l’ouest formant une galerie à l’étage sur une série d’arcatures ouvertes. L’architecte a su exploiter habilement une parcelle irrégulière et la présence des bâtiments antiques et trouver des solutions novatrices à ces contraintes.
La chapelle, joyau de l’hôtel, occupe un emplacement singulier, à l’arrière du bâtiment, qui marque son caractère privé. De plan presque carré, elle déploie à partir de son unique pilier central un dense réseau de nervures. Elle fonctionnait aussi comme une rotule de distribution et permettait à l’abbé d’accéder au jardin de plain-pied par un escalier à vis desservant un espace voûté. Ce jardin, autrefois peu profond, épousait l’axe du corps de logis. À l’ouest, deux jardins suspendus étaient installés sur les épaisses voûtes du frigidarium et de l’actuelle salle romane (salle 10).
Aujourd’hui, l’hôtel des abbés de Cluny est à la fois proche et éloigné de ce qu’il était au Moyen Âge. Ses façades, ses toitures ont bénéficié au 19e siècle d’une restauration de qualité, menée scrupuleusement par Albert Lenoir, en respectant les dispositions d’origine. En revanche, le tissu urbain dans lequel il était engoncé a disparu, suite aux travaux d’urbanisme du baron Haussmann, modifiant significativement la perception de cette « pépite urbaine », telle que la qualifiait Prosper Mérimée, insigne joyau de l’architecture médiévale civile.