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La Sainte-Chapelle de Paris

Histoire et architecture

 

Un gigantesque reliquaire

La Sainte-Chapelle (ou Sainte-Chapelle du palais de la Cité, car il existe d’autres saintes-chapelles) peut être considérée comme un gigantesque reliquaire destiné à conserver les reliques les plus sacrées du Christianisme : la couronne d’épines du Christ et les fragments de la Vraie Croix, acquis par le roi Louis IX en 1238 à l’empereur latin d’Orient Baudouin II, en proie à de graves difficultés financières. Leur entrée dans la capitale l’année suivante fait l’objet d’une grande cérémonie publique.

Un chantier sujet à questions

Les reliques de la Passion sont d’abord placées dans la chapelle Saint-Nicolas du palais royal, le 18 août 1239. Lorsque enfin les reliques de la Vraie Croix viennent se joindre aux autres en 1241, le roi décide de confier leur garde à un collège de chanoine dans un bâtiment conçu à cet effet. L’identité de son architecte demeure à ce jour un mystère. On a longtemps supposé qu’il s’agissait de Pierre de Montreuil, celui-là même qui éleva les bâtiments monastiques de Saint-Germain-des-Prés et le bras sud du transept de Notre-Dame de Paris mais, compte tenu des différences de conception qui la distinguent de ces deux ouvrages, cette attribution peut être rejetée. Thomas de Cormont et Robert de Luzarches, maîtres d’œuvre successifs de la cathédrale d’Amiens, sont cités parmi les autres architectes possibles. En fait, la date même du commencement des travaux est sujette à débat. Le chantier débute-t-il en 1241, en 1243 ou même après ? Si la chapelle est consacrée en 1248, il n’est pas même sûr qu’elle soit complètement achevée à ce moment. Les recherches récentes tendent cependant à s’accorder sur le fait que le roi n’aurait pas fait consacrer un bâtiment non achevé.

Une chapelle palatine

Quoi qu’il en soit, ce nouvel édifice domine le ciel parisien de sa flèche. C’est, avec les tours de Notre-Dame, le plus haut monument de la capitale et celui que les voyageurs aperçoivent en premier. La Sainte-Chapelle est une chapelle palatine, c’est-à-dire qu’elle est destinée à l’usage du personnel du palais et du roi, dont les logis privés sont reliés à celle-ci par un passage couvert. Avec les reliques de la Passion, saint Louis veut certainement montrer qu’il marche dans les pas du Christ. Cette tradition des chapelles palatines se rapporte à celle des chapelles impériales privées byzantines et germaniques. La proximité avec le palais royal symbolise également la fonction juridique de la chapelle puisque les serments entre le suzerain et ses vassaux sont prêtés sur les reliques. Sur le plan politique enfin, la présence des reliques de la Passion, qui proviennent de Constantinople, permet à la dynastie capétienne de s’afficher comme l’héritière de l’idée impériale. La Sainte-Chapelle possède donc une double signification religieuse et politique au moment où le royaume de France cherche à s’affirmer, notamment face au Saint Empire romain germanique.

Dans la tradition des chapelles palatines, la Sainte-Chapelle est un bâtiment double : elle comprend en effet une partie basse et une partie haute. La chapelle basse, haute de 6,6 m, est réservée au personnel du palais. La construction de cet ensemble est suffisamment robuste pour pouvoir supporter la chapelle haute. Celle-ci, qui culmine à 20,5 m sous voûte, soit autant que la nef de la cathédrale de Noyon, est une véritable châsse de verre coloré, rendue possible par une savante utilisation des chaînages métalliques et un système de voûtement maîtrisé. La superficie des vitraux est de 750 m² (sans la rosace occidentale) pour 1113 scènes narratives, avec des dominantes rouge et bleue reprises par la polychromie architecturale du bâtiment. Les deux niveaux ont la même longueur (33 m) et la même largeur (10,7 m).

Transformations et restaurations

La Sainte-Chapelle connaît peu d’évolutions entre la mort de saint Louis et la Révolution. Paradoxalement, seules les précieuses reliques qu’elle est supposée protéger semblent avoir souffert : ainsi, de nombreuses parcelles sont disséminées par les rois ou des membres de la famille royale en guise de cadeaux ou de gages à leurs proches. Les reliquaires et pierres précieuses qui les ornent ont aussi pâti de ces pratiques. En 1790, la Sainte-Chapelle est fermée au culte. Les reliques subsistantes sont dispersées (mais non détruites : la Couronne d’épine trouve finalement sa place dans le trésor de la cathédrale Notre-Dame), privant ainsi la chapelle de sa raison d’être. Elle est transformée en dépôt d’archives du Palais de Justice (1797) et l’extension de ce bâtiment au fil des ans finit par menacer son existence même. Sous la pression de l’opinion populaire, les autorités publiques décident en 1836 de restaurer le bâtiment, qui se trouve alors dans un piètre état.

Les travaux durent 26 ans et sont considérés comme un manifeste de l'esthétique néo-gothique, au point que Jean-Michel Leniaud a déclaré que la Sainte-Chapelle que l’on peut visiter actuellement est en fait un « monument du 19e siècle. » Les restaurations sont dirigées d’abord par Félix Duban et Jean-Baptiste Lassus, puis par Paul Boeswillwald. Extérieurement, ces travaux concernent la maçonnerie et la flèche. Le décor intérieur est lui aussi restauré. Les éléments dispersés y sont réintégrés autant que possible, les autres étant déposés en particulier au musée de Cluny : ainsi les apôtres, divers éléments d’architecture et des vitraux. La chapelle est classée monument historique en 1862.

La Sainte-Chapelle au musée de Cluny

 

Le musée de Cluny conserve de nombreux fragments et éléments de la Sainte-Chapelle, déposés en particulier lors des travaux de restauration du 19e siècle. Parmi les éléments architecturaux figurent des chapiteaux, des fragments de balustrade ou encore des meneaux.

Les sculptures

La statuaire est importante. La collection du musée comprend ainsi un Saint Louis en bois d’if polychromé daté de 1300 environ, qui fut probablement placé à l’origine sur la crête de la grande châsse qui contient les Saintes Reliques. Mais ce sont les statues d’apôtres qui occupent la plus grande place. Seules six statues sur les douze sont aujourd’hui conservées au musée. Si la Révolution les épargna, elles furent en revanche dispersées et mutilées (décapitées) lors de la Révolution de 1830. En 1851, six furent restaurées et replacées à la Sainte-Chapelle (dans un ordre aléatoire), tandis que les six autres, trop abîmées, rejoignirent le musée de Cluny. Leurs têtes furent remontées et leurs copies placées dans la chapelle.

Les historiens de l'art les ont classées en deux groupes, « classique » et « précieux » ; quant à leur datation, elle a longtemps été sujette à débat. Certains, comme Louis Courajod au 19e siècle et, après lui, Annette Weber en 1997, sont partisans d’une datation différente pour les deux groupes : selon eux, l’un aurait été en place pour la consécration en 1248 et l’autre ajouté plus tard, à la fin du 13e ou au début du 14e siècle. D’autres, comme Francis Salet dans les années 1950, avancent au contraire un achèvement de l’ensemble à un seul et même moment (un des arguments étant que saint Louis n’aurait pas fait consacrer un bâtiment inachevé). On penche de nos jours plus généralement pour cette deuxième hypothèse.

Les vitraux

Le musée de Cluny conserve un important ensemble de vitraux provenant de la Sainte-Chapelle. Lors des travaux de restauration des verrières de la chapelle haute, des panneaux furent déposés puis envoyés au musée de Cluny. Certains sont des panneaux plus anciens utilisés en remploi, tel le beau médaillon de La Résurrection des morts, (vers 1200, Cl. 23721). D'autres sont le témoignage des interventions du 15e siècle, par exemple le savoureux médaillon illustrant l'enlèvement des troupeaux de Job (Cl. 23725). La plupart appartiennent à la vitrerie mise en place entre 1243 et 1248, notamment les panneaux de vitrail aux armes de France et Castille (Cl. 14470 et 14471) et ceux de l'Histoire de Samson.

Le trésor

Le trésor de la Sainte-Chapelle, rassemblé autour des reliques insignes déposées par saint Louis, fut dispersé en 1791. Son exceptionnelle richesse est connue par plusieurs inventaires, dont le plus ancien fut rédigé avant 1285. Plusieurs œuvres ou fragments sont parvenus jusqu'à nous, aujourd'hui conservés notamment à la Bibliothèque nationale de France (Grand camée, manuscrits à reliure d'orfèvrerie) et au musée du Louvre (Vierge d'ivoire). Le musée de Cluny abrite pour sa part deux mitres du 14e siècle et le seul reliquaire exécuté du temps de saint Louis pour la Sainte-Chapelle qu’il avait fondée dans son Palais de l’Île de la Cité.