La nature est omniprésente dans l'art du Moyen Âge, comme elle l'est dans la vie des hommes et des femmes de cette époque, où une forte majorité de la population vit à la campagne et où les villes abritent des jardins et même des portions de vignes et de champs. Pièces luxueuses ou plus modestes, objets religieux ou profanes, éléments du décor ou objets de la vie quotidienne, témoignent tous de l'intérêt jamais démenti de l'art médiéval pour la nature. Les animaux peuplent les œuvres d'art, la végétation est partout présente, parfois foisonnante.
Qu'est ce que la nature au Moyen Âge ?
Les significations du terme « nature » au Moyen Âge sont nombreuses. Il désigne avant tout la Création, mais il faut préciser davantage. Nature signifie d’une part la puissance créatrice de Dieu, et Dieu lui-même en tant que créateur, d’autre part ce qui est créé, la nature des choses, mais également et surtout le principe de mouvement et de changement, de naissance, de croissance, de génération et de mort : c’est le sens de la natura latine, qui vient du verbe nascor, naître.
La nature intervient d'abord en tant que matériau : parchemins en peau animale, ivoires d'éléphant ou de morse travaillés, sculptures sur bois ou sur pierre, tissus de soie ou de laine, colorants issus de plantes tinctoriales, d'animaux ou de minéraux (garance et cochenille pour le rouge, guède et lapis-lazuli pour le bleu, gaude pour le jaune, verts et bruns issus du cuivre, etc...).
Le répertoire animal et végétal légué par l’Antiquité est largement réutilisé : créatures mythologiques (centaures, chimères, sphinx), feuilles d’acanthe, palmettes, rinceaux végétaux parfois animés, c'est-à-dire peuplés de personnages, d'oiseaux, de quadrupèdes (colonnettes de Saint-Denis). L'influence de l'art oriental, en particulier islamique, est également puissante, et se traduit entre autres par le succès des motifs d'animaux affrontés, souvent de part et d'autre d'un élément séparateur, fontaine ou arbre de vie (suaire de saint Sernin).
La nature traduit l'organisation divine et les dispositions humaines quand elle est aménagée en jardins ou en ménageries, mais elle peut aussi évoquer un monde dangereux et violent, celui des monstres, des forêts et des hommes sauvages. L'art reflète cette singification puissante , volontiers ambivalente, de la Création.
Cette dimension symbolique est avant tout chrétienne, mais peut aussi revêtir un sens profane : plantes et animaux peuvent fonctionner comme allégories du pouvoir (lion), emblèmes d'un royaume (broderie aux léopards, armes d’Angleterre), affirmation d’identité d’un individu ou d’un groupe (animal héraldique), motif de la poésie et de l’amour courtois. Le même élément peut avoir une signification religieuse ou profane : ainsi, la rose, symbole de la Passion du Christ (rose d'or), fleur mariale associée à la Vierge, est aussi une fleur courtoise, évocation du désir et du plaisir.
La symbolique animale est avant tout religieuse. La signification des animaux est consignée dans des « bestiaires », ouvrages qui décrivent la « nature » - traits physiques et comportements – des animaux, dans un but d'édification religieuse et morale.
Le bestiaire médiéval est manichéen. Il existe un bestiaire vertueux, associé au Christ, et un bestiaire satanique, relevant du diable. Poisson, lion et pélican, sont des symboles du Christ. L'aigle, le cerf et le paon sont des allégories de la Résurrection. L’agneau incarne le sacrifice du Christ et la Rédemption. La colombe est symbole de paix et incarnation de l’Esprit saint (colombe eucharistique). À l'opposé se déploie un bestiaire maléfique : le serpent, qui incarne la tentation, côtoie le loup, le léopard, le chat, le scorpion.
Manichéen, le bestiaire médiéval n'est pas moins ambivalent. Rares sont les symboles entièrement positifs (colombe) ou négatifs (serpent). Beaucoup d’animaux ont une signification ambivalente, comme le lion, « star » du bestiaire médiéval. Il existe un mauvais lion, cruel et tyrannique, figure diabolique (Samson et le lion), mais aussi un bon lion, symbole de courage et de justice, image du Christ, allégorie de la Résurrection.
Les animaux personnifient souvent des vertus ou des vices. Ils incarnent parfois des vertus : innocence et pureté (agneau), fidélité (chien)... mais plus souvent des vices : orgueil (paon), luxure (lapin), gloutonnerie (ours), ruse (renard)… L'animal peut être vecteur de satire sociale, comme dans le Roman de Renart ou sur les miséricordes (porcs jouant de l'orgue, satire du monde des clercs).
Le monde fantastique
Les œuvres d'art comme les bestiaires mêlent animaux réels, familiers ou exotiques, et créatures fantastiques. Parmi les êtres qui peuplent la Création figurent des cohortes de créatures fabuleuses. Griffons, centaures, sirènes, chimères, phénix, licornes, monstres et dragons foisonnent dans les productions artistiques médiévales. La frontière entre créatures réelles et imaginaires est très perméable : les secondes sont censées exister quelque part sur terre, aux confins de la Chrétienté, le plus souvent en Orient, véritable réservoir de l’imaginaire.
Beaucoup de créatures fantastiques sont des êtres hybrides, mi-humains mi-animaux, comme la sirène, sous ses deux formes : sirène-oiseau héritée de l'Antiquité (chapiteau aux sirènes) et sirène-poisson, création médiévale. D'autres sont des combinaisons de plusieurs animaux, comme le griffon, hybride de lion et d’aigle. Beaucoup sont associées aux vices, au diable (la sirène incarne la luxure, le griffon est un animal satanique), certaines ont une signification positive (le phénix symbole de la Résurrection).
La licorne, dotée d’un corps de cheval, de sabots de chèvre et d’une corne inspirée de la dent de narval, connaît un grand succès au Moyen Âge. Sa signification est complexe : animal redoutable réputé ne pouvoir être capturé que par une vierge, la licorne symbolise le Christ, la pureté et la chasteté ; mais l'animal revêt aussi une dimension courtoise (tenture de la Dame à la Licorne).
La figuration de la nature dans l'art connaît un tournant important au 13e siècle. Auparavant, la pensée de la nature repose sur le contraste, formulé par saint Augustin, entre la perfection divine et l’imperfection de la nature créée. Tributaire de cette conception, l'artiste roman utilise un système de conventions, de signes, qui visent moins à représenter fidèlement la nature qu'à en suggérer l'essence, à évoquer le monde surnaturel, le seul parfait. Les cieux sont suggérés par un fond d'or, plantes et animaux sont figurés de façon très stylisée, avec des formes et des lignes simplifiées (crosse de Carcassonne).
À partir du 13e siècle, avec la redécouverte de la Physique d'Aristote, qui conduit à appréhender la perfection de la Création à travers celle de ses parties, se fait jour une approche artistique plus naturaliste, davantage fondée sur l'observation et soucieuse du détail, à l'origine d'une attitude plus scientifique. Les animaux sont représentés de façon plus réaliste (chiens provenant d'un tombeau), les plantes sont souvent identifiables (clef de voûte au masque de feuilles). Au 15e siècle les tapisseries « millefleurs », dont le fond est semé de plantes fleuries, presque toutes reconnaissables, connaissent un grand succès (Dame à la Licorne, tenture de la Vie Seigneuriale).
La nature rythme la vie quotidienne de l'homme médiéval. Au Moyen Âge est reprise la tradition romaine des calendriers illustrant les travaux agricoles (« travaux des mois »), tant aux portails sculptés des églises (surtout aux 12e-13e siècles) que dans les livres d'heures, témoins de l'essor de la dévotion privée, qui se multiplient à partir du 14e siècle. Chaque mois peut être illustré par les signes du zodiaque ou par une scène liée au cycle des travaux agricoles (feuillets d'un calendrier). A côté des activités seigneuriales figurant dans les calendriers (mois d'avril, de mai), les représentations de la chasse sont très prisées à la fois dans l'enluminure et dans le décor des demeures (tapisseries : Départ pour la chasse).
Dans les derniers siècles du Moyen Âge, l'homme sait s'écarter de la nature pour la contempler. Les premiers paysages de la peinture occidentale apparaissent en Italie à la fin du 13e siècle. Au 15e siècle l'artiste évoque la profondeur de l'espace et se met à creuser le tableau : par la perspective atmosphérique, qui modifie les couleurs en fonction de l'éloignement, et par la perspective géométrique (Vierge au Froment). Le paysage s'ouvre à l'intérieur du tableau ou de la pièce tissée, avant, étape suivante, d'en occuper toute la surface.