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La langue du blason

Vous êtes-vous déjà pris au jeu de rechercher des armoiries sur les murs d’un château médiéval ou d’armes anciennes ?

Dès le 12e siècle, se développe chez les élites aristocratiques un goût pour l’héraldique, et plus particulièrement pour les armoiries. Marques de possession, elles sont aussi un moyen d’exalter un lignage, une famille ou un individu, voire d’affirmer un message politique ou religieux.

Comment ces signes se sont-ils répandus et que signifient-ils ? Initiez-vous aux mystères de l’héraldique.

Le vocabulaire de l’héraldique

Le blason désigne l’ensemble des figures, des couleurs et des règles héraldiques. Comme l’écrit Michel Pastoureau, il est le "lexique et la grammaire" de cette nouvelle langue.

L’emblème est un signe qui identifie un individu ou un groupe d’individus : le nom, l’armoirie, l’uniforme, l’attribut iconographique sont des emblèmes. Il arrive parfois que certains objets soient ambivalents, à la fois emblème et symbole. Ainsi les armoiries des rois capétiens, d’azur semé de fleurs de lis d’or constituent un emblème, c’est-à-dire un signe d’identité qui aide à reconnaître le roi de France ; mais les figures et les couleurs qui le composent - l’azur, l’or, les fleurs de lis et même la disposition en semé – sont investies d’une fonction symbolique. Par ailleurs, la fleur de lis est une création héraldique, sans véritable ressemblance avec le lis véritable.
On retrouve les armoiries royales sur certains vitraux de la Sainte-Chapelle.

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Panneau héraldique, vitrail provenant de la Sainte-Chapelle, 1243-1248, Cl. 14470.

Alors que le programme iconographique de l’édifice insiste tout particulièrement sur les thèmes royaux, ce vitrail par exemple vient affirmer le lien entre le roi et l’édifice.
D'ailleurs, la fleur de lis est une création héraldique, sans véritable ressemblance avec le lis naturel. Elle tend à devenir un motif ornemental récurrent. 

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Vitrail de Betton avec couple de donateurs, Cl. 9545.

La pratique n’est pas réservée au lignage royal. Ce panneau provient de l’église bretonne de Betton, détruite vers 1870, et dont les seigneurs du lieu étaient la branche cadette de la famille Saint-Gilles. L’homme porte un tabard sur lequel on reconnaît le blason familial, d’azur semé de fleurs de lys d’argent.
Son épouse a été identifiée à Jeanne de Tilly car elle porte sur sa jupe les armes de la famille de Tilly, d’or à une fleur de lys de gueules.

Le bouclier est un des supports privilégiés pour ces signes distinctifs. Il permet d’associer l’armoirie à la fonction militaire et chevaleresque notamment par la représentation de l’écu incliné, de la targe ou du heaume coiffé de son cimier. On les retrouve également sur les bannières, la cotte d’armes et le caparaçon.

La targe représentant saint Georges terrassant le dragon (Cl. 1956) porte les armes de la ville de Zwickau (Saxe), de gueules à trois cygnes d’argent. La ville de Zwickau a en effet passé commande en 1441 d’une série de targes et de pavois à des ateliers de la ville de Chomutov (actuelle République tchèque), distante d’une centaine de kilomètres. 

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Targe avec saint Georges terrassant le dragon, 15e siècle, Cl. 1956.

Saint Georges y apparaît en modèle et protecteur de ceux qui optent pour le métier des armes. L’inscription qui court autour de la représentation du saint "Aide, Dieu, Verbe éternel, le corps ici, l’âme là-bas, aide, chevalier, aide" place le porteur du bouclier sous sa protection.

Faune et flore

Les végétaux, très présents en héraldique, sont stylisés à la manière de la rose du vitrail aux armes des Müllenheim.

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Vitrail aux armes de la famille Müllenheim, 15e siècle, Cl.1925.

Sur un autre vitrail (Cl. 1924), Jacques de Fleckenstein se présente devant Dieu en chevalier revêtu d’un grand harnais blanc, à genoux sur un prie-Dieu.

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Jacques de Fleckenstein en prière, vitrail, fin du 15e siècle, Cl. 1924

Devant lui est placé un écu à ses armes, de sinople à trois fasces d’argent timbré d’un heaume orné d’un cimier assorti. Jusqu’au 14e siècle, la couleur verte a assez mauvaise réputation. Cependant, à l’horizon des années 1380, le terme héraldique vert est remplacé par le mot sinople...qui signifie ocre rouge. Les raisons de ce glissement sémantique et terminologique restent énigmatiques mais le vert est de plus en plus plébiscité par les bourgeois et les patriciens allemands du 15e siècle.
Ce désir de singularité touche toutes les élites et se diffuse sur les objets du quotidien ou les œuvres d’art comme les étoffes, les vitraux, le mobilier, les tapisseries et même des serrures. Les animaux y abondent et sont parfois des armes parlantes, comme pour ce plat aux hérissons (Cl. 1686) en faïence à reflets métalliques.

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Plat aux hérissons, céramique hispano-mauresque, 15e siècle, Cl. 1686

Au centre d’un décor de pampres de vigne, six étoiles sont associées à trois hérissons. Cette combinaison d’astres et d’animaux correspond aux armoiries d’une grande famille florentine, les Ricci car en italien, hérisson se dit riccio.

Certains animaux sont particulièrement appréciés en héraldique. C’est le cas du lion et de sa variante, le léopard.

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Broderie aux léopards, vers 1330 - 1340, Cl. 20367

Il peut être représenté passant (horizontal), ravissant (debout sur ses pattes postérieures) ou saillant (semblant sauter sur sa proie).

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Légende : Carreau de pavement au lion ravissant, 14e siècle, Cl. 15037.

La mode anglaise des devises

A partir des années 1350, l’usage des devises s’impose progressivement en Europe. Cette mode venue d’Angleterre instaure un nouveau système fondé sur un emblème figuré, la devise. Cette devise est souvent associée à une courte sentence, le mot, et parfois complétée par des lettres formant un monogramme ou un chiffre et une combinaison de couleurs qualifiée de livrée.

Le rondel au monogramme LG (Cl. 1037a) représente deux jeunes femmes assises sur le sol et coiffées d’un turban tenant entre elles un G imbriqué dans un L.

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Rondel au monogramme LG, vitrail, 15e siècle, Cl. 1037a

Ce médaillon inséré dans la croisée de la fenêtre est conçu comme un support héraldique. Le commanditaire a choisi de porter à la vue de tous les initiales de son nom, LG pour Laurens Girard. Officier du pouvoir central, Laurens Girard appartient à un milieu lettré comme le montrent ses armes d’azur au chevron d’or accompagné en chef de deux molettes d’éperon d’argent et en pointe d’une rose du même.

Il est possible qu’il ait existé un second rondel peut-être porteur de la devise bien connue du commanditaire : "Sur ly n’a regard", anagramme de son nom.

Le musée conserve un couteau portant la devise de Philippe le Bon, duc de Bourgogne (MRR 158).

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Couteau de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, 15e siècle, Cl. 22193 - (MRR 158)

Sur chaque face du culot du couteau, les armes ducales de Bourgogne : écartelé au premier et dernier de France ancien à la bordure componée d’argent et de gueules, au second parti de Bourgogne ancien et de Brabant, au troisième parti de Bourgogne ancien et de Limbourg : sur le tout de Flandre.

Ces armes sont celles de Philippe le Bon, duc de Bourgogne et comte de Flandre, devenu duc de Brabant et de Limbourg en 1430. Sur les deux faces du manche, apparaît le "mot" AULTRE N’ARAI. Adopté par Philippe le Bon en janvier 1430 alors qu’il vient de créer l’ordre de la Toison d’or, il fait allusion à l’exclusivité de son ordre sur tout autre. Il pourrait également s’agir d’une promesse de fidélité conjugale à sa nouvelle épouse, Isabelle de Portugal.
Sur la virole, d’un côté deux E minuscules sont réunis par un lacs. C’est le sigle adopté par le duc de Bourgogne en 1453. De l’autre, sa devise personnelle : le briquet et les étincelles qu’il produit. Cette multiplication d’emblèmes permet de dater précisément ce couteau entre 1453 et la mort du duc en 1467.

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Épée d'un duc de Milan, 15e siècle, Cl. 11821

Cette épée au rare pommeau en queue de poisson (Cl. 11821) a appartenu à un duc de Milan, peut-être Ludovic le More. Elle présente ses armoiries sur le talon de la lame : d’argent à la guivre d’azur, halissante de gueules et couronnée d’or, surmontant un écu écartelé d’Empire et de Milan. L’orientation des armoiries en pal (situées verticalement) indique un emploi d’apparat pour une arme de premier choix.

Les devises recèlent un sens à la fois emblématique et symbolique car elles donnent à connaître la personne derrière le prince, ses sentiments ou ses aspirations. Certains princes changent de devise au gré de leurs actions et des aléas de leur règne, mais ces emblèmes restent un puissant support de communication et un précieux relais de la culture de cour. Les devises se diffusent progressivement à toute la société de cour qui en adopte des formes plus ou moins simplifiées.

La tapisserie à l’emblème des Robertet (Cl. 22613) associe armoiries, devise et mot. Le décor est réparti sur trois bandes verticales de mêmes dimensions.

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Tapisserie à l'emblème des Robertet, début du 16e siècle, Cl. 22613

À gauche, les ailes noires sur fond d’or et les étoiles d’argent sur fond d’azur des armoiries de la famille Robertet alternent en bandes obliques. En langue héraldique : d'azur à la bande d'or chargée d'un demi-vol de sable, accompagnée de trois étoiles d'argent, une en chef et deux en pointe.

Au centre, cinq cornes d’abondance nouées et tenues dans des mains sont accompagnées de leur nom grec (Keras Amaltheia qui signifie corne d’Amalthée ou corne d’abondance) et du mot latin AUREA MEDIOCRITAS (juste milieu d’or) inspiré du poète Horace. Cette inscription célèbre la modération comme règle de vie tout en révélant le milieu humaniste et lettré dont est issu le commanditaire. Enfin à droite, les branches feuillues chargées de fleurs et de fruits constituent un écho aux cornes d’abondance.

Un vent de liberté

La tenture de la légende de saint Etienne (Cl. 9930-9938 ; Cl. 20200) est constituée de 12 tapisseries. Le commanditaire, Jean Baillet, évêque d’Auxerre de 1477 à 1513, est désigné par les armoiries à enquerre qui ponctuent les tapisseries.

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Tenture de l'histoire de saint Étienne, tapisserie, vers 1500, Cl. 9930-9938 ; Cl. 20200

Les armes pleines de la famille Baillet, d’azur à la bande de gueules accostée de deux dragons ailés d’or figurent en neuf emplacements. Les armoiries complémentaires, de sable à la croix d’argent cantonnée de seize fleurs de lis d’or renvoient à la famille maternelle de l’évêque, la famille de Fresnes. Tous ces écus sont surmontés d’une crosse qui les associe formellement à l’évêque. L’usage de l’écartelé témoigne du goût pour la complication héraldique vers la fin du Moyen Âge.

Ainsi, à la fin du Moyen Âge, un vent de liberté et d’innovation souffle sur l’héraldique, comme dans la plupart des arts. Etroitement liées à la chevalerie au 12e siècle, les armoiries sont revendiquées comme un signe de distinction sociale et s’affranchissent d’un certain nombre de règles et obligations au 15e siècle. Le langage devient plus complexe et comporte des associations formelles et chromatiques plus sophistiquées. C’est notamment le cas pour la tenture de la Dame à la licorne (Cl. 10831 à 10836).

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Tenture de la Dame à la licorne, tapisserie, vers 1500, Cl. 10831 à 10836

Elle exhibe de façon insistante les armoiries de la famille Le Viste, de gueules à la bande d’azur chargée de trois croissants montants d’argent, présentées par un lion et une licorne. Ces armoiries sont dénommées "à enquerre" parce qu’elles conduisent à s’enquérir d’une infraction au code de l’héraldique. En effet, il était interdit de juxtaposer deux émaux comme ici le gueules (rouge) et l’azur (bleu).

D’autre part, le commanditaire de la tenture n’est pas identifié avec certitude : s’agit-il de Jean IV, Aubert ou Antoine II Le Viste ? L’omniprésence des armoiries familiales sur les tapisseries trahit une personnalité ambitieuse, avide de reconnaissance. Dans cette optique, comment interpréter cet écart vis-à-vis de la règle, esprit d’indépendance ou volonté délibérée de modifier le blason familial en opérant une brisure ?

La composition des armoiries

Les couleurs

Depuis le 15e siècle, les couleurs portent en héraldique le nom générique d’émaux. Ces émaux se subdivisent en deux groupes : les métaux : or pour le jaune et argent pour le blanc ; et les couleurs : gueules (rouge), sable (noir), azur (bleu), sinople (vert), pourpre.
L’héraldique utilise un certain nombre de combinaisons d’émaux associés d’une manière conventionnelle et stylisée, rappelant les anciennes fourrures de vair et d’hermine dont les combattants recouvraient parfois leurs écus aux 11e et 12e siècles. Le vair est une fourrure formée de la combinaison des dos et des ventres de l’écureuil petit-gris. En héraldique, cette combinaison est figurée par une alternance de clochettes d’argent et d’azur. L’hermine est une fourrure rare et chère, blanche et noire. Dans le blason, elle est figurée par un champ d’argent (blanc) semé de mouchetures de sable (noir).

Lorsque dans un écu on doit superposer ou juxtaposer deux émaux, il faut que l’un soit métal et l’autre couleur. Par exemple, dans le cas d’un écu dont la figure est un lion. Si le champ de cet écu est rouge (de gueules), le lion pourra être blanc (d’argent) ou jaune (d’or) uniquement. Inversement, si le champ de l’écu est blanc, (d’argent) le lion pourra être rouge (gueules), bleu (azur), noir (sable) ou vert (sinople).

En revanche, les fourrures, elles-mêmes constituées de deux émaux, peuvent s’employer indifféremment avec un métal ou une couleur. Toutefois, l’héraldique médiévale préfère les utiliser avec une couleur, principalement le gueules.

La répartition du décor

A = en chef à dextre / B = en chef/ C = en chef à senestre
D = à dextre / E = en cœur ou en abîme) / F = à senestre
G = en pointe à dextre / H = en pointe / I = en pointe à senestre

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Les armoiries se lisent du point de vue du spectateur. Ainsi, dextre (droite) désigne la partie gauche de l’écu et senestre (gauche), la droite.

Les partitions

Les partitions (ou divisions) correspondent à la manière dont l’écu peut être divisé, une ou plusieurs fois et sont donc principalement le parti, le coupé, le tranché, le taillé, le tiercé et l’écartelé.

Le parti peut correspondre à deux types de composition. L’écu peut être le résultat de deux armoiries accolées, appelées "armes d'alliance" (armes de femmes mariées avec les armes du mari à dextre et les armes du père de l'épouse à senestre). Plus rarement et plus anciennement, il est le résultat d’une composition originale n’impliquant qu’une seule famille.

Le coupé qualifie le champ de l’écu partagé en deux parties par un trait horizontal.

Le tranché divise l’écu en descendant du chef à dextre pour aboutir en pointe à senestre.

Le taillé caractérise l’écu coupé en diagonale en partant du chef à senestre pour aboutir en pointe à dextre

L’écartelé est la division de l’écu en quatre parties, constituée autrefois de deux à quatre éléments différents et, actuellement, plus souvent de deux parties répétées (1 avec 4, 2 avec 3) qui correspondent à l’alliance de deux familles, la plus honorée étant située à dextre (en haut à gauche).
Le tiercé divise l’écu en trois parties.

 

Ce parcours a été réalisé à l’occasion de l’exposition "Le Blason des temps nouveaux", présentée au musée national de la Renaissance du 19 octobre 2022 au 6 février 2023.
Parcourez également nos collections grâce à un guide disponible à l'entrée du musée.